I. Argumentaire
Au cours des deux dernières décennies, l’Afrique francophone a vu émerger une vague de contestation du néocolonialisme, portée notamment par de nouveaux mouvements sociaux et politiques. Le Sénégal n’est pas en reste : la montée d’un discours souverainiste, soutenu par une large part de la population et incarné depuis mars 2024 par un régime démocratiquement élu, invite à repenser en profondeur les conditions de l’indépendance nationale.
Cette dynamique remet au centre des préoccupations une souveraineté globale, au-delà des seules dimensions politiques et territoriales. Elle appelle à une véritable souveraineté scientifique, entendue comme la capacité à produire, orienter, diffuser et mobiliser des savoirs endogènes, dans une logique d’autodétermination intellectuelle, technologique et éducative. Joseph Ki-Zerbo (2003) rappelait déjà que le défi fondamental du développement endogène passe par une école et une université « intégrées et autodéterminées ». Autrement, Cheikh Anta Diop formulait déjà en 1974, lors de la conférence d'ouverture de la 9e biennale de l'Association Scientifique ouest-africaine (ASOA, West African Science Association : WASA) que « chaque pays a le poids des cerveaux de ses chercheurs et cadres scientifiques ».
En outre, la priorité épistémologique désigne le fait d’accorder une centralité méthodologique, théorique et politique aux contextes, aux réalités et aux savoirs locaux dans la production scientifique. Elle suppose que les enjeux, les objets, les outils et les langages de la recherche soient définis à partir des besoins et perspectives des sociétés concernées – et non imposés de l’extérieur. Cette notion s’inscrit dans le prolongement des épistémologies du Sud (Santos, 2016 ; Mignolo & Walsh, 2018), qui interrogent les hiérarchies globales de production des savoirs et appellent à une revalorisation des connaissances endogènes et marginalisées.
Dans ce sillage, le concept d’agentivité ou agency permet de dépasser la vision passive du chercheur africain comme simple exécutant de programmes venus d’ailleurs. Il met l’accent sur son rôle actif comme penseur, initiateur, négociateur et producteur de connaissances socialement utiles. Ainsi une lecture de l’œuvre de Jean-Marc Ela dans son ensemble met en évidence l’urgence d’une rupture épistémologique, qui consisterait à transgresser les frontières disciplinaires et les modèles imposés, afin d'affirmer une autonomie intellectuelle authentique (Ela, 2003).
Au demeurant, le Sénégal, à l’instar de nombreux pays africains, n’en est encore qu’aux balbutiements de sa souveraineté scientifique. Cette situation se manifeste notamment par une forte dépendance aux financements extérieurs et une faible capacité à orienter les priorités de recherche selon les besoins nationaux. Par ailleurs, des événements géopolitiques récents, tels que le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), rappellent la vulnérabilité structurelle des pays africains face aux aléas des puissances dominantes. Comme l’a souligné un quotidien burkinabè, cette décision pourrait gravement affecter la santé publique en Afrique et compromettre la circulation des données scientifiques essentielles au développement des politiques sanitaires
En outre, selon le vice-président du Groupe de la Banque africaine de développement lors de la quinzième conférence de l’Académie africaine des sciences, tenue du 9 au 12 décembre 2024, l’état actuel de la science, de la technologie et de l’innovation (STI) en Afrique soulève de nombreuses questions et moins de 1 % de tous les brevets délivrés dans le monde en 2023 concernaient des particuliers ou des entreprises africaines. A cela s’ajoute un sous-financement persistant des institutions de recherche, censées garantir par ailleurs la souveraineté scientifique. En effet, le Plan stratégique national de la recherche et de l’innovation (2023-2032) du Sénégal, laisse entrevoir que la dépense intérieure brute consacrée à la recherche et développement par rapport au produit intérieur brut était dernièrement estimée à 0,58% en 2015 (donnée la plus récente) selon la Banque mondiale ; un taux très loin de 1% recommandé par l’Union africaine.
Cet appel à proposition de chapitres se veut une contribution originale pour documenter et assoir les bases d’une souveraineté scientifique au Sénégal et en Afrique. Chaque contribution devra adopter une démarche scientifique rigoureuse, fondée sur des références académiques pertinentes et accessibles. Il est attendu des auteurs qu’ils mobilisent des données empiriques, des approches critiques ou des expériences de terrain afin de produire une analyse ancrée, originale et susceptible d’éclairer les débats actuels sur cette perspective.
II. Axes thématiques
1. Politique et gouvernance de la Recherche scientifique
Stratégies nationales et régionales de développement scientifique
Financement de la recherche : dépendance extérieure vs autonomisation
Rôle des universités et des institutions de recherche
Partenariats scientifiques Nord-Sud et Sud-Sud : enjeux et perspectives
Place des langues africaines dans la recherche
Science ouverte, accès libre et diffusion des savoirs
Valorisation et vulgarisation des résultats scientifiques
2. Innovations et autonomisation technologique
Brevets, propriété intellectuelle et innovation locale
Développement de technologies endogènes
Intelligence artificielle, numérique et souveraineté technologique
Industrialisation et transfert technologique
3. Développement des compétences et formation
Réforme des systèmes éducatifs
Capacitation des jeunes chercheurs
Fuite ou rencontre des cerveaux. Quelles stratégies de rétention ?
Mobilité académique et internationalisation
4. Enjeux géopolitiques et coopération scientifique
Dépendance scientifique et alternatives stratégiques
Diplomatie scientifique et coopération interafricaine
Poids des puissances étrangères dans la recherche africaine
De la recherche en temps de crise : moteurs et mobiles ?
Vers une agence panafricaine de la science ?
5. Économie du savoir, financement et indépendance monétaire
Rôle des banques centrales et institutions financières
Impact des politiques monétaires sur la R&D
Soutien du secteur privé à l’innovation scientifique
III. Normes de présentation des manuscrits
Le manuscrit doit être proposé en version électronique (Word) et le texte soumis doit être compris entre 5 et 10 pages (Times New Roman 12 – Interligne simple). Les articles attendus sont rédigés en français et doivent comporter un résumé de 100 mots maximum en français et en anglais.
IV. Dates importantes à retenir
o Réception des propositions (maximum une page, Times New Roman 12 – Interligne simple) : 15 juin 2025
o Retour aux auteurs : 14 juillet 2025
o Date limite d’envoi des textes complets : 15 août 2025
o Évaluation et retours aux auteurs : 15 septembre 2025
o Envoi de la version finale des contributions : 15 octobre 2025
o Date de parution : Décembre 2025
V. Références bibliographiques
· Ouvrage
Ki-Zerbo, J., & Holenstein, R. (2003). A quand l'Afrique. Editions d'en bas.
Ela, J.-M. (2003). Repenser la théologie africaine : le Dieu qui libère. Paris : Karthala.
· Article
Hansen, T. B., & Stepputat, F. (2006). Sovereignty revisited. Annu. Rev. Anthropol., 35(1), 295-315.
Santos, B. de Sousa (2016). Épistémologies du Sud. Mouvements sociaux et polémique sur la science. Éditions Desclée de Brouwer.
Mignolo, W. & Walsh, C. (2018). On Decoloniality: Concepts, Analytics, Praxis. Duke University Press.
Diop, C. A. (1974). Perspectives de la recherche scientifique en Afrique. Notes africaines, (144), 85–88. Dakar : Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN).
· Chapitre d’ouvrage
Heilbron, J. (2009). Repenser la question des traditions nationales en sciences sociales. In L’espace intellectuel en Europe (pp. 301-317). La Découverte.
· Thèse, mémoire, rapport
Floss, S. (2015). Les critiques de la notion de souveraineté en Droit et Sciences Politiques: l'évolution sémantique des concepts source de confusion (Thèse de doctorat, Rennes 1).
· Webographie
Aujourd’hui au Faso (2025). Retrait des USA de l’OMS décrété par Trump : Peu ou prou, l’Afrique doit rechercher sa souveraineté sanitaire. https://www.aujourd8.net/retrait-des-usa-de-loms-decrete-par-trump-peu-ou-prou-lafrique-doit-rechercher-sa-souverainete-sanitaire/ Consulté le 28 mars 2025.
VI. Maison d’édition
Pépites
VII. Contact
Les contributeurs sont invités à soumettre leur article à l’adresse électronique suivante : contact@focus221.org en mettant copie : focus221.sn@gmail.com et amadou.tandjigora@gmail.com